" Ong " Meillon : oublié ?
Beaucoup d’entre nous se souviennent encore d’ un homme décédé il y a 10 ans. Les anciens des lycées Marie Curie et Jean-Jacques Rousseau des années 60 et début 70 à Saigon, sans parler des autres établissements (Yersin, Trung Vuong, Gia Long, Chu Van An etc.) avec lesquels il travaillait, connaissent en effet le professeur Gustave Meillon, ne serait-ce que de nom. Cauchemar pour les uns, objet de respect teinté de peur pour les autres, Monsieur Meillon a marqué les esprits par sa maîtrise de la langue vietnamienne. Gare à ceux ou celles qui passaient en examen oral devant lui, et ne maîtrisant pas leur propre langue maternelle : il ne se gênait pas pour lancer une remarque assez perfide pour que l’on ne s’y reperdît point ! Celles arrivant à Paris dans les années 60 trouvaient souvent le gîte, à défaut du couvert, au 269 rue Saint Jacques (maintenant le siège d’une école américaine). Cette présence de G. Meillon s’expliquait par les contacts nombreux et étroits qu’il entretenait avec tous les milieux vietnamiens, y compris, détail peu connu, avec le Président Ngô Dinh Diêm. Et si nos condisciples féminins trouvaient parfois à se loger à Paris en ce temps-là, c’est que M. Meillon avait créé l’Institut Franco-Vietnamien , rue Saint Jacques, dès 1960. Cet amoureux du Vietnam et de sa langue a tenu pendant 35 ans la chaire de vietnamien de l’INALCO (anciennement ENLOV, autrement dit Langues O), formant des générations entières de vietnamophones (dont le Prince Consort actuel du Danemark, anciennement Henri de Montpezat, d’ailleurs né " là-bas ") . Breveté dès 1937 (il avait 22 ans) de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, il arriva à Cân Tho en 1941 en tant qu’Administrateur Civil . Il s’était évadé entre-temps des camps de prisonniers des troupes nazies et réintégré son corps d’origine, les Services Civils de l’Indochine. Il apprit sur le tas et immédiatement le vietnamien et le cambodgien auprès de ses collègues autochtones en pratiquant le cyclisme avec eux, choses fort mal vues de ses supérieurs en ces temps-là. Nommé à Phan Thiêt (pas loin de Mui Ne où vous prenez peut-être vos vacances maintenant) en 1942, il y trouva son épouse, Mlle Borel. Sa carrière le propulsa Résident de France à Cao Bang en 1943, dans le Nord, puis début 1945 à Hai Phong. Cet esprit ouvert s’est intéressé à la religion Cao Dài dès son arrivée au Vietnam ; cet intérêt ne se démentit plus, et certains ont dit (mais est-ce bien vrai?) qu’il en avait adopté silencieusement la pratique. Il produisit des études sur le Caodaïsme jusqu’à sa mort. Rentré en France, il obtint en 1948, avec une mention ‘Bien’, son diplôme de vietnamien aux Langues O. La récompense fut immédiate : il en devint l’un des chargés d’enseignement. Nommé professeur titulaire de la chaire de vietnamien de l’INALCO en 1957, il ne la quitta qu’en 1985, neuf ans avant sa mort. Ce vrai chercheur (également licencié ès lettres, diplômé de l’Institut de Phonétique de Paris, bachelier en droit) pratiquait avec la même aisance le thaïlandais, persuadé qu’il était que les langues vietnamienne et thaïlandaise avaient des racines conjointes ; il a d’ailleurs laissé une grammaire du thaïlandais, non encore publiée. En 1975, avec les évènements, il créa l’Institut de l’Asie du Sud-Est, pour que les réfugiés et les étudiants en détresse ne fussent pas abandonnés. Si nos condisciples de Marie Curie ont pu effectuer – avec nous bien sûr - leurs joyeuses répétitions du fameux chant ‘Sinh Viên Hai Ngoai Hành Khuc’ à la Scola Cantorum dans les années 60 (je l’ai fait …une fois, mea maxima culpa), c’est parce que beaucoup d’entre elles résidaient dans l’immeuble d’à côté, à l’Institut Franco-Vietnamien, ce qu’elles devaient en partie à la volonté de Monsieur Meillon. Ce dernier a parcouru sa vie durant son chemin personnel vers le Vietnam, comme l’avaient fait des décennies auparavant, mais en sens inverse, un Petrus Truong Vinh Ky ou un Paulus Hùynh Tinh Cua. Georges NGUYEN CAO DUC
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