Un peu de cette culture qui est en chacun de nous ...

 

Le Blanc et le Noir

 

                                          

                                                                    Nguyên Ngoc Châu (62)

 

Voici un cercle divisé en deux par une ligne courbe symétrique avec un petit cercle blanc dans la partition noire et un petit cercle noir dans la partition blanche.

 

Cette figure souvent considérée comme symbole de l’ésotérisme chinois, s'appelle Thai Cuc (Tai Ki)  qui peut se traduire par  "Faîte suprême". Sur son âge, les avis restent partagés: pour certains cinq mille ans, dix mille peut être, pour d'autres, le début de notre ère, voire même vers l'an 1000 ?

 

Toutes les lignes sont circulaires, donc célestes  (le symbolisme "céleste" utilise la forme circulaire, et le symbolisme "terrestre", la droite et le carré).

 

Le cercle extérieur symbolise le caractère clos de l'Univers accessible et intelligible à l'homme, qui est centré  (centre de ce cercle extérieur) mais ce centre lui-même n'échappe pas à la bipartition équilibrée (les deux centres des deux cercles intérieurs). Céleste, la ligne séparatrice formée d’une courbe en deux demi cercles symbolise l'impossibilité de concevoir une bipartition absolue, ce qui sous-entend que nos moyens d'investigation et de classement ont leurs propres limites. Le petit cercle noir dans la partition blanche et le petit cercle blanc dans la partition noire figurent l'Ambivalence foncière de Yin et de Yang. Dans Yang il y a Yin et vice versa. Le Yin, symbolisé ici par la couleur noire (ou sombre), est le principe féminin, l'intérieur, le côté négatif, le côté faux, etc..., et le Yang, symbolisé ici par la couleur blanche (ou claire), est le principe masculin, l'extérieur, le côté positif, le côté vrai, etc ...

 

Le Tai Ki présente une Symétrie géométrique parfaite, symbole de l'équilibre géométrique du Cosmos et de l'équilibre parfait entre Yin and Yang, c'est à dire entre les infinies variétés de couples antithétiques, et donc aussi de l’Asymétrie parfaite ( le blanc et le noir). Globalement donc, le Cosmos est d'apparence symétrique et d'essence asymétrique et le Tai Ki symbolise  la Synthèse et  l'essence de la Différence .

 

Deuxièmement, le Changement est la loi unique qui régit Tout. En effet, le Tai Ki n’est pas immobile. En augmentant le rayon des petits cercles, on voit une transformation: le cercle blanc va se confondre avec la partie blanche, et le cercle noir avec la partie noire, pour former de nouveau le Tai Ki, mais dans une autre position.  Ce changement concomitant du rayon des petits cercles symbolise le Changement dans son essence et le Mouvement dialectique dans les modalités concrètes de ce changement.

 

        

 

Par exemple, dans une famille composée de la mère, du père et du fils, la mère est Yin par rapport au mari mais elle sera Yang par rapport à son fils aussi longtemps qu'elle le nourrira. Quant à l'enfant, Yin à sa naissance par rapport à son père et sa mère, il devient Yang par rapport à sa mère à son adolescence, tout en demeurant Yin par rapport à son père, jusqu'à son âge adulte. Mais pour tout étranger au cercle de famille, ce rejeton mâle sera Yang de sa naissance à sa mort.

 

Ainsi, l'étiquetage chinois par Yin et Yang n'est ni stable ni spécifique: il variera en fonction d'un environnement et possédera toujours un caractère relatif et transitoire qui résulte de l'indispensable lien d'appartenance entre les parties et le Tout: Tout Change, Tout Mute.

 

Chaque petit cercle s'interprète comme élément de doute dans la certitude, une catalyse de remise en question, un pourfendeur de dogme. Le Tai Ki  symbolise donc  le rejet du dogme, l'exil de l'absolu, le refus de porter un jugement de valeur sur l'un des principes antagonistes par rapport à l'autre, le schéma flou de l’ambivalence.

 

Sans ces petits cercles, la figure décrirait une situation où, chacun des principes étant absolu, les positions sont pétrifiées et  les échanges abolis, en quelque sorte  le schéma d'un dualisme létal qui n'est pas sans rappeler le radicalisme des jugements occidentaux, et dont le symbole serait un carré séparé par un trait droit en une partie blanche et une partie noire, correspondant au binaire occidental composé du Zéro et de Un, deux éléments distincts mais aussi totalement différenciés.

 

 

L'esprit occidental prône un perfectionnisme de la pensée qui amène à vivre en terme de vrai ou faux, de bon ou mauvais sans nuances ni intermédiaires. L'esprit chinois ( et aussi le "nôtre", en principe ) est moins tranché: le vrai n'est pas totalement vrai ni le faux totalement faux,  la pureté n'est qu'une abstraction. Il faut donc chercher à ne pas penser en termes absolus, à accoler des étiquettes, à faire des affirmations qui en réalité ne le sont pas.

                                                

Une petite histoire tirée du livre " Le vrai classique du vide parfait" de Ly Tu (Lie Tseu), l’un des grands maîtres Taoistes,  va encore plus loin. C’était au temps où celui ci cherchait encore à "apprendre". 

 

" Il mit trois ans à désapprendre à juger et à qualifier avec des paroles. Alors son maître Lao Chang l'honora pour la première fois d'un regard. Au bout de cinq ans, il ne jugea, ni ne qualifia plus qu'en pensée. Alors son maître lui sourit pour la première fois. Au bout de sept ans, après que se fut effacée dans son esprit même la distinction entre oui et non, entre l'avantage et l'inconvénient, son maître, pour la première fois, le fit asseoir sur sa natte. Au bout de neuf ans, quand il eut perdu la notion du juste et de l'injuste, du bien et du mal ... alors en lui s'établit la communion parfaite entre le monde extérieur et son intimité foncière. Il cessa de se servir de ses sens."

 

J’ai trouvé tout cela très beau.   Et vous ?

 

                                                              

NNC

 

 

Bibliographie: La Symbolique chinoise, J.Marolleau (Dervy); le Taoisme, Anton Kielce (M.A. Editions); The I Ching, translated by Koh Koh Kiang (Asiapac); etc.