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NO. 6  –  SEMAINE  DU  8  AVRIL  2002

 


 

HISTOIRE TRISTE ET GAIE

A la Boris Vian

 

Qui n'a pas lu et qui n'a pas aimé Boris Vian  dans sa jeunesse ? "L'Ecume des Jours"  fut longtemps pour moi un livre culte ;  il y avait dans cette histoire tout ce que j'aimais , quand j'étais jeune : de la poésie, de la tendresse, de la tristesse, de la joie, de l'humour, le tout avec un zeste d’absurdité de la vie. J'avoue que ce livre m'a fortement marquée. La preuve, ce poème écrit à l'âge de vingt ans, enfoui au fond d’un tiroir et qui ressurgit maintenant comme par magie pour être lu par vous.

 

Si vous aimez Boris Vian, si vous aimez les poèmes, je pense que vous aimerez ce petit récit d’un chagrin d’amour. Je l'ai trouvé sans prétention, plein de charme, de candeur, de naïveté (normal, j'avais vingt ans).  Je le dédis à tous les lecteurs / lectrices de GOOD MORNING, en espérant qu'ils auront autant de plaisir à le lire que j'ai eu du plaisir à le relire (Il est un peu long, il faut prendre son temps … J'aurais pu également l'illustrer, pour faire plus joli, plus romantique … mais mon scanneur est tombé en panne ! Donc, désolée …).

 

HISTOIRE TRISTE ET GAIE, A LA BORIS VIAN (ECRIT EN 1969)

 

Latrisstèce rentra chez elle,

D'un pas décidé et rapide.

Deux larmes de la grosseur d'une pyramide

S'étaient formées dans ses yeux

Et la rendaient encore plus belle.

Elles coulaient maintenant sur ses joues en feu

Et avec le soleil

Elles scintillaient de mille reflets sans pareil.

Un passant qui passait

Voulut ces diamants lui dérober.

Il aurait dû demander à Latrisstèce,

Avec la plus grande politesse

De les lui donner,

Ce qu'elle aurait fait,

Sans savoir ce qu’il en aurait fait.

Mais il était bête,

Et aux gens qui n’ont pas de tête,

Arrivent les plus grands malheurs,

Surtout quand ils sont voleurs.

Il avança la main, mais à cet instant,

Latrisstèce s'était baissée

Pour ramasser son sac et ses gants

Qu'elle avait par mégarde laissé tomber

Sans savoir quand et comment..

Prise au dépourvu, la main toute timide

Resta suspendue dans le vide

Et empêcha les insectes de voler à leur guise

Dans l'air frais et la brise.

L'un d'eux, qui n'était pas vieux

Jura d'un ton insecticidement furieux

Et pour punir cet être malhonnête,

Lui piqua la main d'une façon nette

A l'endroit où naît l'index.

Le doigt se mit à enfler sans complexe

De telle sorte que le pauvre passant,

Cherchant désespérément un calmant

A la pharmacie courut tout droit

Pour demander un "Calme-moi".

 

- :- :- :-

 

Pendant ce temps, les cheveux au vent,

Latrisstèce, toujours mignonnément jolie,

A petits pas et sans bruit,

Poursuivait son chemin, en se cachant..

Les larmes continuaient sans cesse

De couler de ses yeux en détresse.

Pour ne pas inonder les gens autours d'elle,

Telle une petite gazelle,

Latrisstèce se mit à courir,

Silencieuse et sans un sourire.

Ses larmes n'avaient pas le temps

De faire un brin de causette avec le vent

Et la suppliaient d'aller plus lentement.

Mais tout ce qu'elle entendait,

C'était le bruit de ses pas qui résonnait.

En plus, comme elle ne voyait rien,

Elle devait faire attention

Aux passants et aux chiens

Qui dans la rue marchaient sans façon.

Elle pourrait en écraser un,

Et passerait pour un assassin,

Ce qui n’était pas du tout son destin.

En plus de ce souci, elle devait retrouver son chemin,

Et ce brouillard de larmes

Qui dans ses pupilles avait pris les armes

Ne l'aidait point,

Alors qu'elle avait bien pris soin,

Pour retrouver son chemin,

Sans avoir à passer par quatre chemins,

De laisser des traces de pas

Qui avaient dû être effacées par ceux d'un chat.

Heureusement, Latrisstèce avait encore sa mémoire

Qui l'a aidée à la ramener chez elle le soir

Sous un ciel sombre de cette nuit si noire.

 

-o-o-o-

 

Alors, là, sans crier gare

Ses yeux se mirent à déverser

Un torrent de larmes au goût bizarre,

Jusqu'à former une mare.

Elle pourrait dedans se jeter

Puisqu'elle ne voulait plus rêver.

Mais pour se tuer, quand on est belle,

Il faut trouver un moyen cruel.

Elle essaya le couteau

Qui ne voulut point entrer dans sa peau.

Elle pensa à la corde

Mais ne se sentait pas assez forte

Quand le noeud fut fait

Et que dedans elle s'était glissée.

Alors elle regarda par la fenêtre

Et voulut s'y jeter de tout son être.

Mais elle n'était pas assez haute,

Et risquait de se casser quelques côtes.

Ah, si les gens avaient l'esprit plus ouvert

Elle aurait pu s'acheter un revolver

Ou même le voler à un ami

Qui, s'il était vraiment gentil,

Le lui aurait prêté sans faire de commentaire.

Mais d'ami elle n'en avait point,

Et de revolver encore moins.

 

-o-o-o-

 

A ses goûts extravagants

Elle ne trouva point de solution

Et décida de résoudre la question

En semant ses idées au vent,

Et de se cacher au fond de son lit

Pour noyer, elle et ses lubies.

Au contact des draps colorés,

Elle sentit son corps se reposer,

Et la douce couverture en laine

Lui donna une expression plus sereine.

Elle ne dormit qu'un moment,

Qui lui parut une éternité pourtant,

Lui faisant oublier tous ses chagrins d'antan,

Pour ne lui promettre maintenant

Que des enchantements, dorénavant.

 

-:-:-:-

 

L'aube avec ses gouttes de rosée

Que pendant la nuit, sans vie

Elle avait recueillies au creux de son lit

Par sa fraîcheur, fit son effet.

Le matin ne trouva plus de blessures

Mais une Latrisstèce plus sûre

Qui avait oublié tous ses coups durs.

La plaie dans sa poitrine

Avait fait place à une île.

Elle avait accroché son coeur

Au bout des branches en fleurs,

Elle avait distribué ses pleurs

Aux innombrables petits oiseaux

Qui les ont emportés là haut, très haut.

Au bord d'une rivière

Où l'eau était très claire,

Elle avait jeté toutes ses misères.

Et depuis, ses yeux ont cessé de pleurer,

Ses larmes ne purent plus couler,

Car elle avait décidé de tout oublier.

 

 

-         FIN -